Vaches
En 1995, la série des « Vaches folles » est exécutée à partir d’un fait de société traumatisant dépassant la simple actualité pour s’installer dans la durée : la crise de la vache folle et les craintes d’une transmission éventuelle à l’homme de l’encéphalopathie spongiforme bovine.
Ces « Vaches folles » sont une variation conçue avec des moyens graphiques (encre de chine et pastel gras sur papier) aptes à évoquer au mieux la contradiction qu’il y a entre l’aspect placide, lisse et généreux des vaches d’une part, et d’autre part, les formes navrantes, vaines et ahuries à quoi les a réduites certain délire humain non moins ahurissant. Le cœur de la viande qu’un sang impur a contaminé a cessé de battre : la vache, l’œil vidé, le cuir distendu et l’échine encombrée des accessoires de la folie, reste muette et figée dans son rôle sacrificiel.
Vingt-cinq ans plus tard, une exposition singulière « Images muettes, humour vache, objets bavards », installée à la ferme de la Prioudière se donne pour objet la recherche d’une esthétique du monde agricole menée sur la base d’un travail sur la vache laitière (fresques) et sur l’outillage agricole (assemblages).
Avec les fresques murales, c’est une exposition sur les vaches et conçue pour les vaches : dans leur déambulation quotidienne au sein de la ferme, les vaches passeront inévitablement devant la plupart d’entre elles, tant il est vrai que les sentiers de la création doivent croiser à cette occasion ceux de la production. Les fresques sont réalisées en deux couleurs de façon à évoquer la robe des vaches : sombre pour les Prim’holstein ou brune pour les Normandes.Chaque image isole une partie de l’anatomie de l’animal et l’associe à un élément exogène : ici une corne tutoie la lune, là les taches de la robe se fondent dans les nuages ou se confondent avec un pommier, ailleurs le trayon devient rayon solaire. « Vache à la traite » et « Traite à la main » en associant la main de l’homme au pis de la vache constituent un double hommage : au paysan qui jusqu’à peu trayait à la main, et à l’artiste qui voici trente mille ans signait ses peintures d’une main négative ou positive.
Avec les assemblages, c’est aussi une exposition conçue sur les outils du paysan, avec les outils des paysans et pour le paysan lui-même : fourches, pelles, râteaux, dents de faneuse ou de faucheuse, truelles, faux et faucilles, socs, herses, crocs, griffes, etc. Ces outils, collectés dans les fermes, les déchetteries ou les casses ont un point commun : après usage et une fois dépossédés de leur fonction première, ils deviennent comme les témoins fossilisés d’une destinée individuelle (celle des anonymes qui les ont utilisés) désormais abolie mais à laquelle l’assemblage va redonner un sens inédit. La matière de l’objet ne change pas (métal), seule sa forme évolue, revisitée par l‘assemblage, après que l’usure, la rouille et la corrosion ont également fait leur travail de décomposition. L’outil du paysan, abandonné parce qu’usé est remis à l’ordre du jour par la vertu de l’assemblage : l’obsolescence de l’un fait la poésie de l’autre.